Quand le sexe devient un champ de bataille intérieur
La sexualité, c’est censé être un espace de liberté, d’échange, de plaisir. Mais quand on a subi un viol, elle devient souvent un champ miné.
Chaque contact, chaque regard, chaque attente peut raviver des blessures invisibles. On ne parle pas ici d’un simple blocage, mais d’une guerre intérieure où le corps et l’esprit ne suivent plus les mêmes règles.
La confiance en soi ? En miettes. Le désir ? En conflit avec la peur. L’intimité ? Un territoire inconnu ou dangereux.
Et pourtant, la société, les partenaires, la culture du “normal” imposent un cadre où il faudrait être “comme tout le monde“.
On va explorer ces blessures et leurs répercussions. Pas pour se complaire dans la douleur, mais pour mettre des mots là où il n’y en a souvent pas.
Car comprendre, c’est déjà reprendre un peu de contrôle.
1. Le manque de confiance en soi et en son corps
Se regarder dans un miroir et ne pas se reconnaître. Voir un corps qui n’est plus tout à fait le sien. Comme une enveloppe qu’on habite à contrecœur.
Après un viol, la confiance en soi en prend un coup monumental. On se sent dépossédé(e), souillé(e), parfois même inexistant(e).
Exemple
Imagine une femme qui, avant le traumatisme, adorait s’habiller avec des vêtements près du corps, se sentir belle et désirée.
Aujourd’hui, elle ne supporte plus un simple décolleté.
Elle porte des pulls amples, évite les reflets des vitrines. Dès qu’un regard masculin s’attarde, elle sent la panique monter. Elle voudrait disparaître.
Parce que dans sa tête, ce corps a trahi. Il a été envahi, utilisé. Alors elle le cache. Ou elle le maltraite. Trop maigre, trop grosse, trop invisible…
Tout sauf attirante. Parce que l’idée d’être désirée, ça fait peur. Comme si c’était synonyme de danger.
Et ce cercle vicieux, il enferme. On se prive, on se cache, on s’efface. On s’interdit d’être bien dans sa peau, d’être belle ou beau.
Mais ce corps, ce n’est pas l’ennemi. Il a survécu. Et peut-être qu’un jour, il pourra redevenir un allié.
2. Le manque d’estime de soi
Quand on te vole ton corps, on finit par croire qu’on t’a volé bien plus. L’image que tu avais de toi-même ? Détruite. Ce que tu pensais mériter ? Évaporé.
Tu n’es plus qu’un puzzle dont les morceaux ne s’imbriquent plus.
Exemple
Un homme, après son viol, se persuade qu’il n’a plus de valeur. Il a honte, il se dit qu’un “vrai homme” n’aurait jamais laissé ça arriver.
Il s’éloigne des autres, fuit les relations.
Quand une femme s’intéresse à lui, il se méfie. Pourquoi voudrait-elle de lui, alors qu’il se sent brisé ?
Il y a ce poison dans la tête : “Je ne mérite pas l’amour“, “Je ne suis plus digne d’être touché(e)“, “Qui voudrait de moi après ça ?” Alors, on s’auto-sabote.
On choisit des relations toxiques, ou on les évite complètement. On s’installe dans l’idée qu’on ne vaut rien, parce que ce qui s’est passé nous a marqué au fer rouge.
Mais la vérité, c’est que ce n’est pas toi qui es cassé(e). Ce qui est arrivé est une blessure, pas une identité.
Et même si ça prend du temps, même si ça fait mal, tu n’es pas condamné(e) à rester dans ce rôle de survivant(e) brisé(e).
3. Une forte culpabilité : porter un poids qui n’est pas le sien
C’est absurde, mais c’est là. Cette voix dans la tête qui murmure : “Et si c’était de ma faute ?” On sait, rationnellement, qu’on n’a rien fait de mal. Mais le cœur, lui, ne suit pas toujours. La culpabilité s’infiltre partout, sournoise, collante.
Exemple
Une jeune femme se rappelle qu’elle était ivre ce soir-là. Pas inconsciente, mais joyeuse, désinhibée.
Et après, tout a basculé. Alors, elle se dit qu’elle aurait dû faire attention. Qu’elle aurait dû dire non plus fort.
Qu’elle n’aurait jamais dû accepter ce dernier verre.
Et c’est ça, le pire. Parce que ce n’est pas elle qui a fauté, mais elle porte quand même le poids du crime.
Parce que la société, la famille, les médias, tout renvoie toujours cette question pourrie : “T’étais habillée comment ?” – comme si un short ou un sourire pouvaient légitimer l’horreur.
Alors elle se tait. Parce qu’elle se dit qu’elle l’a peut-être cherché. Parce qu’elle a peur qu’on ne la croie pas. Parce que quelque part, une part d’elle-même pense qu’elle l’a mérité.
Mais non. Jamais. On ne mérite pas la violence. On ne “provoque” pas un viol. La seule personne coupable, c’est celle qui l’a commis. Point.
4. La peur de décevoir l’autre : quand le sexe devient une épreuve
C’est déjà compliqué de se remettre d’un traumatisme. Mais quand vient le moment d’être avec quelqu’un, une autre peur surgit : et si je n’étais plus “normal(e)” ? Et si je n’étais pas à la hauteur ? Pas assez sensuel(le), pas assez à l’aise, pas assez… tout.
Exemple
Un homme, en couple depuis peu, veut “bien faire“. Il veut donner du plaisir, être un bon amant.
Mais au moment où les choses deviennent intimes, son corps se bloque.
Sa respiration s’accélère, ses muscles se raidissent. Impossible d’avancer, impossible de fuir.
Il voit la déception dans les yeux de sa partenaire. Il se sent honteux. Incomplet.
Parce que le sexe n’est plus juste un jeu de désir, c’est un terrain piégé. Il y a la peur d’être trop distant, de ne pas être “assez” dans le moment. Et en même temps, il y a cette terreur d’être envahi(e) à nouveau.
Le problème, c’est que cette peur ne se dit pas facilement. Alors, on simule. On évite. On repousse. On s’invente des excuses.
Mais en silence, on s’en veut. On culpabilise de ne pas être à la hauteur des attentes de l’autre, alors qu’en réalité, c’est soi-même qu’on essaie de rassurer.
Et si l’autre ne comprend pas ? Tant pis. Ce n’est pas une question de performance. C’est un combat intérieur. Et ça, ça demande du temps.
5. L’absence et le rejet de dialogue sur la sexualité
Le sexe, tout le monde en parle. Entre potes, dans les séries, dans les magazines. Mais quand on a été violé(e), ce sujet devient un mur infranchissable. Il y a ceux qui évitent d’en parler à tout prix, et ceux qui en parlent en riant, en minimisant, comme si ce n’était pas grave. Dans les deux cas, c’est une façon de se protéger.
Exemple
Une femme est en couple depuis un an. Son compagnon voudrait parler de leurs envies, de leurs fantasmes, de leurs limites.
Mais chaque fois qu’il ouvre le sujet, elle change de conversation. Ou elle s’énerve. Parce qu’elle ne sait pas comment en parler.
Parce qu’à ses yeux, le sexe, c’est devenu un champ de mines, un truc à gérer en silence, sans jamais mettre de mots dessus.
Ne pas en parler, c’est garder le contrôle. Parce que mettre des mots, c’est affronter le traumatisme.
C’est risquer de revivre des souvenirs. C’est prendre le risque d’être jugé(e), incompris(e). Alors, on préfère faire semblant. Ou éviter complètement le sujet.
Mais à force de se taire, on s’enferme. On laisse l’autre deviner, interpréter, parfois se sentir rejeté. Et ce silence, il finit par peser plus lourd que les mots qu’on voulait éviter.
6. Le besoin excessif de contrôle dans les rapports intimes : tout maîtriser pour ne plus subir
Quand on a vécu l’horreur, on développe un réflexe de survie : ne plus jamais être pris(e) au dépourvu. Chaque geste, chaque situation, chaque interaction devient une bataille entre envie et terreur. Le contrôle devient une armure.
Exemple
Un homme qui, après son viol, ne supporte pas l’idée de se sentir vulnérable. Il ne laisse personne le toucher en premier.
Il impose toujours le rythme, choisit les positions, évite celles où il ne domine pas.
Si son/sa partenaire tente quelque chose d’imprévu, c’est panique totale.
Il se tend, repousse, coupe court.
Ce besoin de contrôle peut se manifester de mille façons : refuser certaines caresses, imposer des rituels précis, tout orchestrer pour éviter les surprises. Parce que l’inconnu, ça veut dire danger. Et le danger, c’est un retour au cauchemar.
Mais ce contrôle étouffe aussi le plaisir, la connexion. On veut se protéger, mais on finit par s’enfermer dans une mécanique où rien n’est spontané. Le sexe devient une check-list à cocher plutôt qu’un moment à vivre.
Et pourtant, apprendre à lâcher prise, c’est réapprendre à faire confiance. Ce n’est pas simple, ce n’est pas rapide. Mais c’est possible.
7. Le recours à des pratiques extrêmes pour “se guérir” : exorciser ses démons dans l’excès
Quand on a été victime, il y a cette idée sournoise qui s’infiltre : “Si je prends le contrôle de ma douleur, alors peut-être qu’elle arrêtera de me contrôler.” Certains fuient la sexualité, d’autres s’y jettent à corps perdu, explorant des terrains où douleur et désir se confondent.
Exemple
Une femme commence à fréquenter des milieux BDSM. Au début, c’est une curiosité, puis ça devient une nécessité.
Elle cherche des partenaires qui lui imposent des choses, qui recréent cette sensation d’abandon total.
Dans sa tête, elle se dit : “Si c’est moi qui choisis, alors ce n’est plus un viol.”
Mais après chaque séance, c’est le vide. Parce que le mal-être est toujours là, intact.
Cette tentative de reprendre le contrôle par l’excès, c’est une illusion. Ce n’est pas un problème de pratiques en soi, c’est l’intention derrière : est-ce que c’est un choix libre ou un combat contre ses propres fantômes ? Parce que si c’est une fuite, alors ce n’est pas une libération.
Se réparer, ce n’est pas repousser les limites jusqu’à se perdre. C’est réapprendre à ressentir, sans se punir.
8. L’hypersexualisation ou l’asexualité : deux extrêmes pour survivre
Quand la sexualité a été volée, il n’y a pas de réaction “normale”. Certains la fuient totalement, d’autres s’y noient. Deux opposés, un même combat : reprendre le contrôle.
Exemple
Un homme ne ressent plus aucune envie. Rien. Le sexe, pour lui, c’est un concept lointain, un truc qui ne le concerne plus. Il évite tout contact, repousse les avances, s’éloigne même de toute possibilité de relation. Il se dit que c’est mieux comme ça. Pas de désir, pas de danger.
À l’inverse, une autre personne peut décider d’enchaîner les partenaires. Elle ne laisse jamais place à l’attachement, au romantisme. Juste du sexe, brut, mécanique. Parce que si c’est elle qui décide quand, où et comment, alors plus personne ne pourra lui faire du mal.
Ces réactions sont des boucliers. L’un pour ne plus jamais ressentir, l’autre pour transformer la peur en pouvoir.
Mais dans les deux cas, ce n’est pas du plaisir, ce n’est pas du choix libre. C’est une réponse au traumatisme.
Et si le vrai contrôle, ce n’était pas de tout rejeter ou de tout consommer, mais d’apprendre, doucement, à ressentir à nouveau ? À son rythme, sans pression. Juste pour soi.
9. Les déclencheurs incontrôlables : quand le passé ressurgit sans prévenir
Un mot, une odeur, un geste, et tout bascule. On n’est plus là, plus dans le présent. En une fraction de seconde, le corps panique, le cerveau décroche. Ce n’est plus une étreinte, c’est une menace. Ce n’est plus un lit, c’est une scène de crime.
Exemple
Un homme est avec sa compagne depuis plusieurs années. Tout va bien, jusqu’à ce qu’elle l’embrasse dans le cou, d’une certaine façon.
Et là, c’est comme un électrochoc. Il se fige.
Son cœur s’emballe. Son corps se raidit. Il ne sait pas pourquoi, mais il ne supporte plus qu’elle le touche.
Il repousse, s’éloigne, se sent submergé par une panique qu’il ne contrôle pas.
Ce sont ces petits détails qui ravivent un souvenir. Un parfum qui rappelle l’agresseur. Une posture, une pression sur le poignet, un murmure dans l’oreille…
Et d’un coup, on est projeté(e) en arrière, impuissant(e), incapable de faire la différence entre hier et aujourd’hui.
C’est injuste, parce qu’on ne le choisit pas. Parce qu’on voudrait juste être bien, là, maintenant. Mais le corps a sa propre mémoire.
Et la seule façon d’apprivoiser ces déclencheurs, c’est d’en prendre conscience. De ne pas se juger. D’apprendre, avec le temps, que ce n’est pas un retour en arrière. C’est une blessure qui parle. Et qui, petit à petit, peut cicatriser.
Se reconstruire : un chemin , pas une condamnation
Le viol laisse des traces. Des fractures invisibles qui s’infiltrent dans chaque recoin de la sexualité, du rapport à soi, aux autres.
Et ces blessures ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Elles ne disparaissent pas parce qu’on le décide, parce qu’on “devrait aller mieux“, parce que “ça fait longtemps maintenant“.
Mais ça ne veut pas dire qu’on est condamné(e).
Oui, le chemin est long. Oui, il y aura des rechutes, des peurs, des blocages. Mais on peut avancer. À son rythme. Avec ses propres règles.
Et le/la partenaire ?
Quand on aime quelqu’un, on veut le comprendre, le soutenir. Mais face à des blocages inexpliqués, des silences ou des réactions imprévisibles, le partenaire peut se sentir perdu.
S’il n’est pas au courant du traumatisme, il risque de prendre le rejet pour lui : “Elle/il ne me désire pas”, “Je ne suis pas à la hauteur”. Il peut ressentir de la frustration, de l’incompréhension, voire de la culpabilité.
S’il sait, alors c’est un autre défi : ne pas brusquer, ne pas blesser, mais ne pas disparaître non plus. Vouloir bien faire sans savoir comment. Ressentir une profonde impuissance face à la souffrance de l’autre.
Être en couple avec une victime de viol, ce n’est pas simple. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire. La patience, l’écoute, la communication honnête… Ce sont ces petites choses qui, à long terme, font la différence.
La sexualité ne sera peut-être jamais “comme avant“, mais elle peut redevenir un espace de plaisir, de connexion, de sécurité, et elle sera peut-être aussi mieux ! Oui, c’est possible.
Et non, on ne sera plus jamais “innocent(e)” comme ceux qui n’ont jamais connu cette violence. Mais ce n’est pas une faiblesse. C’est une force. Celle de s’être relevé(e), malgré tout.
Se reconstruire, ce n’est pas redevenir la personne d’avant. C’est devenir quelqu’un qui, malgré la douleur, apprend à vivre, à aimer, à désirer. À être libre, enfin.